Depuis le début des années 1990, les populations boliviennes nagent dans un climat de fortes tensions politiques concernant la gestion de l’eau dans le pays. En 2000, un conflit appelé « guerre de l’eau » éclate dans la ville de Cochabamba. Un mouvement social dirigé par la Coordination de Défense de l’Eau et de la Vie (CDEV), s'oppose au gouvernement national sur la concession des services de l’eau à une entreprise privée transnationale, Aguas del Tunari. L’élection d’Evo Morales à la présidence du pays en 2006 constitue ainsi un véritable espoir pour la gauche latino-américaine. Défense des droits autochtones, promotion du concept du « buen vivir » (= « vivre bien »), constitutionnalisation des droits de la Pachamama (« Terre Mère »), organisation d’une Conférence mondiale des peuples sur les changements climatiques : ce gouvernement issu des mouvements sociaux affiche clairement sa volonté de rupture avec le néolibéralisme.
Mais en parallèle, celui-ci ne résiste pas à la tentation d’accroître l’exploitation des ressources naturelles du pays, et notamment celles des nombreuses mines (d’argent, de zinc, de plomb, …) comptants parmi les industries les plus polluantes. La « crise de l’eau » qui secoue la capitale de La Paz en novembre 2016, impliquant une coupure du service dans 94 quartiers de la zone Sud, remet en cause et illustre alors parfaitement les paradoxes de la politique hydrique gouvernementale. Additionnée au dérèglement climatique, et à d’autres facteurs anthropiques, cette politique a un impact considérable sur la possibilité pour les populations boliviennes d’avoir un accès viable et égalitaire à l’eau potable. Notre série s’envisage ainsi comme un documentaire au long cours explorant ces différentes problématiques liées à l’eau dans le pays, et plus particulièrement dans l’Altiplano (= région des Andes, s'étendant principalement en Bolivie, formant une haute plaine entre les Cordillères occidentale et orientale et dans laquelle le réchauffement climatique est considéré comme étant cinq fois plus rapide et important).
Poursuivant toutes les deux un travail photographique personnel autour des thématiques de l’eau et de l’environnement, le territoire bolivien et les différents enjeux qui lui sont attachés ont ainsi raisonné comme une évidence. Nous avons souhaité étendre notre travail à un pays se trouvant tout particulièrement au cœur de ces thématiques. Ainsi, partir avec un seul appareil, un seul trépied, et l’association de nos deux regards nous a paru être le protocole le plus cohérent. C’est dans un esprit d’équipe que la confiance, la complémentarité, et l’entraide ont été les clés de notre démarche.
Un travail de recherche en amont, ainsi qu’un recueil de témoignages sur place nous ont permis d’identifier les différentes spécificités de chacun des lieux dans lesquels nous nous sommes rendues. Nous les avons arpentés avec la ferme intention non seulement de donner à voir le problème de l’eau à travers ces spécificités, (qu’elles soient liées à leur emplacement, leur culture, leurs activités économiques ou encore leur histoire) mais aussi de donner à voir les rapports qu’entretiennent les populations avec ces territoires. Dès lors, qu’elle s’affirme de manière tangible ou suggérée, la présence humaine est commune à chacune de nos images. Par ailleurs, les paysages aux lumières et aux couleurs douces qui composent notre corpus viennent nettement contraster avec la réalité de ces lieux. Enfin, l’assemblage d’images abstraites regroupées sans soucis de localisation et pensé comme une mosaïque vient brouiller les rapports d’échelle et illustrer d’une autre manière notre sujet, en révélant l’état de sols en pleine mutation écologique.

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